Enjeux matériels de l’hypersensibilité environnementale

L’hypersensibilité environnementale est une problématique de santé très complexe qui comporte deux manifestations principales :

  • La sensibilité aux produits chimiques (sensibilité chimique multiple, SCM) implique une variété de réactions aux différents contaminants et aux molécules de synthèse présents dans l’air, l’eau, la nourriture, les médicaments, etc.
  • La sensibilité aux champs électromagnétiques ou CEM (électrohypersensibilité, EHS) comporte un éventail de réactions aux différentes ondes émanant des réseaux et appareils électriques ainsi que des technologies sans fil.

Le diagnostic peut également inclure des sensibilités à d’autres facteurs environnementaux (aliments, lumière, soleil, bruit, vibrations, chaleur, froid, météo, etc.)

La prolifération accélérée des technologies sans-fil (téléphonie cellulaire et sans fil, Internet sans fil, compteurs à radiofréquences, appareils domestiques…) s’accompagne d’une augmentation rapide du nombre de cas d’EHS. La SCM pour sa part, a vu le nombre de cas s’accroître avec l’apparition des milliers de molécules de synthèse dérivées de la pétrochimie et maintenant présentes dans la vaste majorité des produits de consommation. Il est à noter que des réactions surviennent lorsque ces contaminants sont présents dans l’air, qu’il y ait ou non une odeur perceptible. Plusieurs des molécules pointées du doigt (telles les phtalates ou le bisphénol-A) ont été reliées au cancer ainsi qu’à des perturbations endocriniennes. Ce facteur hormonal est soupçonné de jouer un rôle dans le fait que les victimes de SCM sont en grande majorité des femmes.

D’après un sondage effectué auprès de 6800 personnes atteintes d’hypersensibilités aux produits chimiques, 80% savent quand, où, avec quoi et comment ils sont devenus malades. De ces 80%, 60% blâment les pesticides. (Chemical exposures, Low Levels and High Stakes, Nicholas Ashford, Ph.D, J.D., and Claudia Miller, M. D.)

Plusieurs personnes éprouvent les deux formes de sensibilités à des degrés divers. L’exposition aux moisissures semble agir comme déclencheur initial ou facteur aggravant dans plusieurs cas de SCM et d’EHS.

Selon une enquête de Santé Canada (2003), la forme sévère de l’hypersensibilité environnementale affecterait de 2 à 3 % de Canadiens. Cependant, ce pourcentage serait devenu beaucoup plus élevé dans les cas de l’EHS, en raison de l’évolution rapide de l’environnement électromagnétique.

Paul Héroux, physicien et professeur à l’Université McGill, a conduit des expériences sur les effets des champs électromagnétiques (CEM). Il explique que l’organisme humain n’ayant pas évolué dans un environnement saturé de CEM, en particulier les radiofréquences (hautes fréquences, micro-ondes) des technologies sans fil, il n’a pas développé de système spécifique pour y faire face. On pourrait en dire autant des molécules de synthèse. SCM et EHS sont donc des maladies dites multisystémiques, des syndromes avec leurs multiples symptômes : troubles de concentration, irritabilité, maux de tête, étourdissements, engourdissements, fatigue importante, insomnie, acouphènes, nausées, arythmie cardiaque, gonflement abdominal, douleurs articulaires et musculaires (fibromyalgie), etc.

Si les victimes de SCM peuvent être soulagées lorsqu’elles sont exposées à l’air pur, celles atteintes d’EHS peuvent n‘avoir jamais de répit, la nature n’offrant plus un refuge intégral contre les radiofréquences, en raison de la multiplication des antennes-relais.

Les expositions cumulatives conduisent à des états chroniques et souvent à l’invalidité, donc à la perte des revenus. Les régimes d’assurance-invalidité ne reconnaissent pas ces conditions de santé, non plus que le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, lequel accuse à cet égard un retard important sur plusieurs pays et provinces canadiennes.

Par contre, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec (CDPDJ) a reconnu l’hypersensibilité environnementale comme un handicap donnant droit à des accommodements. Pour l’instant, aucune ligne directrice n’a été énoncée par la Société d’habitation du Québec (SHQ) pour l’accommodement des envirosensibles (ou hypersensibles) en logement social. La SHQ les exclut également du programme d’adaptation du domicile pour handicapés (PAD), programme issu de celui de la Société canadienne d’habitation et de logement (PAREL), qui inclut les hypersensibles partout ailleurs au Canada.

En l’absence de rentes d’invalidité appropriées, les personnes atteintes doivent souvent se rabattre sur l’aide de dernier recours du ministère de la Solidarité sociale, avec un revenu très inférieur au minimum reconnu pour le seuil de la pauvreté, assorti de restrictions absentes des autres régimes.

Ce handicap suscite trop souvent l’incompréhension, le doute, voire l’hostilité et les personnes atteintes vivent beaucoup d’isolement en raison à la fois des particularités de la maladie et du rejet social qu’elle engendre. L’isolement est de plus en plus prononcé depuis que l’Internet sans fil (WiFi) a envahi tout l’espace public et même des parcs où les personnes chimicosensibles aiment tant se réfugier en quête d’air pur. Sans les coûteux vêtements de protection des radiofréquences (qui ne conviennent pas à tous), plusieurs ne peuvent plus sortir de chez elles. L’usage de l’ordinateur s’avérant impossible dans plusieurs cas, on peut imaginer le désoeuvrement dans lequel ces personnes peuvent se retrouver. Dans un tel état de dénuement, toute forme de contribution, si petite nous semble-t-elle, peut prendre des dimensions humaines insoupçonnées.

Besoins matériels et dépenses

  1. Logement

Le logement, avec son environnement extérieur et intérieur, constitue le premier facteur de santé des envirosensibles. La plupart ne tolèrent pas les médicaments et l’hôpital est pour eux un milieu qui aggrave leur état. Le logement peut faire toute la différence entre la détérioration (dégénérescence) de l’état de santé et sa possible réversibilité ou du moins, sa stabilisation. Le logement devient l’oasis où la personne atteinte peut récupérer et maintenir un minimum d’activité à l’extérieur.

Les coûts d’aménagement des logis adaptés sont excessivement élevés pour les deux formes de sensibilités :

  • Matériaux sains, sans émanations de COV (composés organiques volatils des agglomérés et laminés, vernis, peintures, etc.), systèmes de ventilation et de filtration de l’air, literie faite de matériaux naturels, meubles sans émanations de COV.
  • Expertises professionnelles de détection et réduction des CEM, plusieurs appareils de détection pour les basses et les hautes fréquences, blindage du logis : peinture au graphite, matériaux tels que moustiquaire, papier d’aluminium spécial, rideaux ou pellicules pour fenêtres; lit baldaquin en tissu protecteur
  • Expertises de moisissures
  • Coûts des matériaux et de la main-d’œuvre pour rénover ou mitiger les problématiques dans des logements non adaptés. Par ex. : recouvrir un plancher flottant avec du papier pare-vapeur, sceller les joints et les tablettes des armoires en mélamine (émanations de formaldéhyde), laver et peinturer les murs pour réduire ou éliminer les résidus de fumée et de diffuseurs de parfum, etc.
  • Coûts des fréquents déménagements nécessités par des changements dans l’environnement : rénovations, dégâts d’eau, introduction de produits ou de technologies (WiFi, diffuseurs de parfums, pesticides, nouvelle tour de télécommunication, etc.).

Les femmes seules, non-fumeuses et sans animaux étant des locataires au profil idéal, les propriétaires sont susceptibles de les choisir sans égard à leur problème de santé, sans dévoiler des dégâts d’eau passés ou travaux à venir.

Le taux d’errance des envirosensibles est beaucoup plus élevé que dans le reste de la population. Lors d’un sondage effectué entre mars et août 2000 auprès des envirosensibles par la Environmental Health Coalition of Western Massachussetts, 57% des répondants ont déclaré avoir été sans foyer à un moment ou l’autre. Durant la période du sondage, 10% étaient sans foyer et 10% en hébergement temporaire (le taux d’itinérance dans la population normale serait de 1%). 62% des sans foyer étaient des personnes à faible revenu. Plusieurs passent la majorité de leur temps dans leur voiture, même en hiver. (V. le texte « Crise du logement » sur le site Envirosensible.net http://envirosensible.net/index.php/habitat/crise-du-logement#pauvrete)

  1. Autres dépenses
  • Masques au charbon, automobile sans émanation de formaldéhyde (neuf) ou résidus de parfum ou de fumée (usagé), vêtements en fibres naturelles; vêtements et lunettes de protection des CEM
  • Équipements informatiques spéciaux sans CEM
  • Téléphonie filaire traditionnelle avec Bell ou autre – la seule formule acceptable pour les personnes sensibles à la pollution électromagnétique (hautes fréquences transitoires ou « électricité sale ») générée par les appareils numériques (modems téléphoniques ou Internet, ordinateurs et annexes, projecteurs, etc.); écouteurs à tubes d’air
  • Alimentation biologique, suppléments nutritionnels, médicaments ou traitements non couverts par la RAMQ
  • Aide domestique
  • Aide pour les déplacements, courses, travaux domestiques, etc.
  • Soins médicaux dans des cliniques hors-Québec
  • Soins dentaires : pour les personnes à faible revenu, la RAMQ ne défraie que les extractions et les amalgames au mercure (obturations grises) pour les dents postérieures. La plupart des personnes chimico et électrosensibles ont des sensibilités au mercure et souvent aux autres métaux.

Typiquement, les envirosensibles à faible revenu s’endettent jusqu’à la limite de leur crédit pour se procurer le plus longtemps possible une partie des biens et services dont ils ont besoin. S’ensuivent souvent la faillite personnelle et la détérioration accélérée de l’état de santé.

Plusieurs cas de suicide nous ont été rapportés et nous croyons que, même s’il nous est impossible de combler entièrement tous les besoins inhérents à cet état de santé, notre soutien moral et matériel peut nourrir l’espoir et éviter à certains de sombrer en entraînant avec eux leur entourage impuissant.

(Note à l’intention des personnes bénéficiaires de la Solidarité sociale : elles ne peuvent recevoir de dons directement, mais pour éviter que l’aide financière extérieure aux prestations ne soit comptabilisée comme un revenu, les bénéficiaires ont droit au paiement de leurs factures via une aide extérieure à 3 reprises dans l’année (Noël, anniversaire et une autre date à leur choix). Un comité d’aidants peut être mis sur pied pour gérer des dons qui serviront à ces paiements de factures, lesquels seront effectués par un membre du comité. Ceci assure la crédibilité du processus et permet à la bénéficiaire de faire ses levées de fonds personnelles en dirigeant les dons obtenus vers le comité. Pour un modèle de présentation à vos donateurs, veuillez nous contacter.)

Jacinthe Ouellet pour Fondation Air et Vie, 2015.

ANNEXE

L’accommodement des hypersensibles - Résumé des principes

L’hypersensibilité environnementale (dans ses différentes manifestations) est reconnue comme un handicap par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec (CDPDJ) et par la Commission canadienne des droits de la personne.

L’avocat en droit environnemental Michel Bélanger (dossier des compagnies de tabac) affirme que ce que les décideurs doivent prendre en compte, c’est le diagnostic médical et le statut d’handicapé (reconnaissance par la CDPDJ), nonobstant l’avis du Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). La Charte des droits a préséance sur le Code Civil et les règlements d’organismes gouvernementaux.

Principes de base :

  1. L’accommodement d’une personne handicapée est une obligation légale et doit être accordé, dans la mesure où il n’engendre pas de contraintes excessives. Le décideur ne peut refuser pour refuser, sans analyser s’il y a ou non une contrainte excessive, i.e, des frais très importants, l’emploi de personnel additionnel, etc. Ces contraintes sont plus importantes dans le milieu privé (selon la taille de l’entreprise) que gouvernemental. Une simple contrainte n’est pas considérée comme excessive, d’après le Guide virtuel d’accommodement de la CDPDJ. La crainte de créer un précédent ne doit pas non plus entrer en ligne de compte, non plus que l’aspect « privilégié » de la situation d’une personne en particulier par rapport aux autres hypersensibles.
  2. En cas de refus, le décideur doit en donner les raisons.
  3. Il faut considérer que le refus de l’accommodement demandé crée un préjudice.
  4. Le choix du moyen d’accommodement revient au demandeur et celui-ci doit, dans la mesure de ses capacités, participer à la suggestion de solutions alternatives.
  5. Aux yeux de la CDPDJ, les retraits d’accommodements d’une personne handicapée ne sont justifiés que si son handicap diminue (nécessité de réévaluer) ou disparaît.

Voir aussi les Informations juridiques et la trousse d’outils sur le site de l’UQAM sur l’hypersensibilité environnementale :

http://www.hypersensibiliteenvironnementale.com/index.php/une-question-de-droit/un-handicap-qui-donne-droit-a-un-accommodement-raisonnable

Guide d’accommodement virtuel de la CDPDJ :

http://www.cdpdj.qc.ca/fr/formation/accommodement/Pages/index.html